Ce qui frappe d'abord...
Nous sommes loin d'un club de troisième âge. Très loin. C'est un EHPAD. Et même si le personnel - irréprochable concernant celui que je fréquente et c'est à souligner - fait tout ce qu'il peut pour adoucir la fin de vie chaotique et perdue en dédales infinis de cerveaux aux connexions débranchées de ses résidents, l'ambiance est pesante et tranquillement désespérée.
Il y a beaucoup d'Alzheimer.
Il y a aussi beaucoup de personnes en fauteuil.
Il est à constater que beaucoup dont la tête est partie sont souvent physiquement très vaillants, et que ceux dont le corps n'est plus que trahison ont leurs neurones intacts. Est-ce partout pareil ?
Micro société en espace clos, ce petit monde ressemble en plus petit à ce que la société des hommes est en plus vaste avec ses clans, ses inimitiés, ses quelques vieilles querelles de villages qui perdurent et ses cancans. La ville est petite et tous les villages environnants s'y retrouvent. Ils se connaissent presque tous depuis trois quart de siècle et les jugements ont la vie dure.
Ce qui frappe d'abord, pour une grande majorité, est l'égoïsme infantile que chacun défend âprement par le caprice, la plainte et le chantage.
Ils ont peu de temps devant eux, ils ont peur, et la solitude même de très courte période leur semble un abandon définitif et rédhibitoire à la mort qui les guette. Esseulés, ils meublent ce silence plein de dangers par des cris, des appels mécaniquement répétés d'une voix monocorde ou des besoins naturels à expulser à intervalles trop rapprochés pour être honnêtement possibles.
A partir d'un certain âge et d'un certain état, ce qui panique le plus un humain est le vide qu'induit le silence.
Le contraste est donc frappant avec ceux ou celles qui attendent la faucheuse intraitable avec calme, douceur et sérénité. Ce sont d'ailleurs les plus souriants, les plus attentifs aux autres, les plus serviables aussi avec leurs congénères moins bien lotis. Ils ne craignent ni le silence, ni la solitude, qu'ils recherchent souvent sous les arbres du parc ou dans leurs chambres. Ce sont des contemplatifs de la nature, bien dans leur vie passée malgré les écueils d'une vie difficile et quelquefois les drames qu'ils n'ont pas oublié mais dont ils se sont détachés.
Une certaine appréciation poétique et contemplative de la vie préserverait-elle du désespoir de la mort ?
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