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Entre chiens et loups
28 avril 2009

Première blessure

Phot0004

Quand j'ai eu six ans, ma mère, séparée de mon père depuis trois ans, ayant mieux à faire que de m'élever et ne voulant pas avoir de comptes à rendre à ma grand-mère et à mon arrière grand-mère qui souhaitaient me garder, m'a un jour déposée avec ma valise dans cette grande bâtisse.

Nous sommes en 1957, et cette grande maison, qui avait été jusqu'à peu de temps auparavant un orphelinat tenu par des religieuses, reçoit des enfants en pension. Mais pour moi c'est toujours " l'Orphelinat ", je ne le connais que sous cette appellation, et il est très grave d'être là. D'abord parce que mes grand-mères résident à deux kilomètres et que je ne comprends pas la raison de ce déracinement subit, ensuite parce que je ressens toute la rigidité cachée sous les voiles chrétiens des soeurs et leur sourire doucereux.

Ma mère partie on m'emmène au dortoir ( fenêtre de droite, en haut, à côté de la statue de la vierge ), puis à la chapelle, et enfin au réfectoire. Je ne connais personne, bien sûr, mes copines sont restées à l'école laïque de la ville, et je suis désespérée.

Desespérée de l'abandon de ma mère qui est partie prestement. Et soulagée. Je n'ai que six ans mais je le sais.

Désespérée d'être en prison.

Désespérée du gouffre dans lequel je me trouve, vidée, sans comprendre de quoi je suis coupable pour que personne ne veuille se charger de moi...

Les jours passent de messes en dortoir et de réfectoires en journées d'école. Grises. Froides. Pas seulement parce que l'hiver bat son plein.

Je souffre du manque de liberté, des aliments que je n'aime pas, de la promiscuité, du froid de la chapelle, de la rigidité des soeurs que l'on doit dire bonnes et qui le sont si peu, de vide affectif, de l'incompréhension de ma situation...Je suis la souffrance du monde à moi toute seule.

Alors je regarde les montagnes...

De la fenêtre du dortoir, j'aperçois l'hôtel de Superbagnère. Comme de la fenêtre de ma chambre avant. Pareil...Le matin et le soir, il se pare de la couleur d'ocre et d'or, la neige s'irise quand le ciel est clair...

Je le fixe des heures durant. De la classe, à la récré, de mon lit... A m'en abîmer les yeux. Il est le seul repère qui me reste de ma vie d'avant. De ma vie normale. De la vie quand on m'aimait. Quand je ne savais pas encore que j'étais un fardeau. Un embarras. Un colis encombrant.

Phot0005

Deux mois plus tard mes grand-mères imposent à ma mère de me prendre un dimanche sur deux. C'est pire. Quitter ma maison d'enfance pour cette geôle sans âme me brise l'âme, le coeur et tout le reste à chaque fois.

C'est là que j'ai pris ma décision : Attendre le bon moment, le moment ou le portail est ouvert, le moment ou on ne me surveille pas et filer...

Et je l'ai fait. Un dimanche où nous allions à la messe ( l'église est à droite du portail mais il faut sortir et contourner par la route à gauche ), pendant que les autres allaient à gauche...j'ai filé à droite !

Je suis rentrée chez moi et j'ai supplié mes grand-mères de me garder. Contre la volonté de ma mère elles l'ont fait. Et la vie a repris son cours paisible...

Ces photos datent d'aujourd'hui. Cinquante trois ans se sont écoulés depuis, mais je suis toujours aussi perturbée quand j'y vais...

Et le petit bout de chou, accroché aux barreaux du portail a réveillé des souvenirs bien douloureux...( Aukourd'hui c'est une crèche et un centre de vacances)

*

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Commentaires
A
Je crois qu'un enfant abandonné dans ces circonstances n'a pas trente six manières de vivre la situation. C'est un anéantissement dont on ne remet jamais tout à fait. ( Même si une arrière grand-mère, maîtresse femme, décide d'enfreindre la volonté de la mère fugueuse ). Ceci explique la similitude de ressenti avec la personne qui est proche de toi.<br /> J'ai appris ce jour là que dans la vie, on ne devait compter que sur soi et c'est une force. Mais j'ai gardé une faille pesante, un drôle de rapport à l'abandon, réel ou empirique, tout au long de mon existence.<br /> J'adresse une belle pensée positive à la personne ayant vécu ce genre de sinistre journée...
F
Bouleversant. Quelqu'un qui m'est proche a connu la même chose, si ce n'est qu'elle n'avait pas de grands-parents et qu'elle en est ressortie à 18 ans. Mais la scène du premier jour d'abandon, elle la raconte de la même manière.
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